SOCIAL
Nathalie CALIMIA-DINANE France-Antilles Guadeloupe 30.11.2011
(N.C.-D.)
Demain, des associations, syndicats, commerçants, personnalités marie-galantais manifesteront dans les rues de Grand-Bourg pour crier leur désespoir. Après l'annonce de la fermeture de deux services de l'hôpital, ils craignent la mort lente du péyi Marie-Galante. Ils invitent toute la Guadeloupe à venir les soutenir.
Une dizaine de Marie-Galantais était réunie, hier matin au bik du LKP pour appeler l'ensemble des Guadeloupéens à apporter « un soutien massif » , demain. Un préavis de grève générale (1) a été déposé par l'UGTG et le LKP organise une manifestation contre la fermeture de deux services de l'hôpital (chirurgie et maternité), mais la plateforme contient d'autres revendications.
« C'est la goutte qui a fait déborder le vase » , explique Jean-Philippe Ledreck, président du collectif Marie-Galante péyi doubout qui énumère : « les problèmes de l'industrie sucrière et rhumière, de logements, l'eau trop chère, la continuité territoriale qui n'est pas appliquée comme il le faudrait, des jeunes, même bacheliers, livrés à eux-mêmes sans perspectives d'avenir... La formation, l'éducation, le transport... Nous attendons des réponses et surtout pour certains sujets l'application des protocoles déjà signés comme le plan colibri. »
Depuis le 2 novembre, le collectif composé de 18 associations sillonne les communes de la Grande Galette pour informer les habitants et les convaincre du bien fondé de la manifestation de jeudi. « Nou ni asé! Jou la sa sé ké on sèl kri, affirme Jean-Philippe Ledreck. La situation est critique. Marie-Galante ka mò. »
Tous en tee-shirt jaune en signe de solidarité
L'île perd 120 habitants par an. Avec les soins en moins, certains retraités ont peur de rester. On n'enregistrera plus de naissance à Marie-Galante , « c'est la mort du pays humainement et économiquement » , se lamente David Uffren. De nombreuses associations et même des particuliers ont créé un lyannaj pour mieux défendre les intérêts des Marie-Galantais. Ils demandent à tous de porter, demain, un tee-shirt jaune ou d'accrocher sur les voitures un tissu jaune pour montrer leur solidarité.
« Les politiques ont un rôle primordial à jouer dans cette affaire. On les attend aussi. » , a conclu Jean-Philippe Ledreck, sans grand espoir.
On n'enregistrera plus de naissance à Marie-Galante , « c'est la mort du pays humainement et économiquement » , déplore David Uffren.
(1) CFTC, CGTG, FO, SPEG, SUD-PTT Gwa, UGTG et UNSA.
(2) Le prénom est fictif.
- TÉMOIGNAGE : « La grande oubliée »
Patrick, consultant indépendant vivant à Marie-Galante, a souhaité réagir suite à notre dossier consacré à l'île, mi-novembre. En effet, selon une enquête de l'Observatoire régional de Guadeloupe,Marie-Galante cumulerait les indicateurs négatifs.
« Marie-Galante est fatiguée. Fatiguée par la somme de problèmes qui ne trouvent pas de solution, fatiguée par le manque de volonté politique et fatiguée par l'image détestable que les gens ont d'elle. »
Comme beaucoup d'habitants de Marie-Galante, Patrick, consultant indépendant (2), a été particulièrement choqué en lisant notre édition du 13 novembre. Un dossier était consacré à une enquête de l'Orsag (observatoire régional de la santé de Guadeloupe) qui révèle que Marie-Galante cumulent les indicateurs négatifs : une population âgée, socialement défavorisée et en surmortalité.
« Marie-Galante a une société civile qui tourne, mais elle fait face à des incohérences et à des injustices » , regrette Patrick. Premiers sur la liste : les transports. « Comment peut-on concevoir qu'il faille débourser 25 euros aller-retour pour se rendre en Guadeloupe ? Ceci sans compter les difficultés pour faire une quelconque démarche administrative sur Basse-Terre. Il nous faut louer une voiture à Pointe-à-Pitre, parfois s'y rendre dès la veille. On atteint vite les 100 euros. C'est aussi compliqué pour les jeunes qui suivent des études. L'idéal serait de mettre en place un bateau bus qui fasse tout l'archipel ou encore d'organiser une desserte aérienne vers la Guadeloupe et la Martinique. Cela permettrait, du même coup, de développer le tourisme. »
« Un vide démographique »
D'autres domaines sont également en souffrance à Marie-Galante : le mauvais traitement des déchets, un hôpital qui ne tourne pas bien, des produits du commerce plus chers qu'en Guadeloupe, le logement social qui se dégrade par manque de syndics, le déficit d'artisans, les communes qui n'ont pas de recettes, le peu d'investisseurs, etc.
« Conséquences : l'île ne se développe pas, les routes sont mal entretenues, les infrastructures scolaires se dégradent (rien d'étonnant avec la fermeture de deux classes par an) et des aberrations persistent. Les pêcheurs de Capesterre, par exemple, n'ont pas de poste d'essence et ne disposent pas de machine à glaçons. Ils sont obligés de se rendre à Grand-Bourg. Encore du temps et de l'argent perdus. »
Cette réalité entraîne fatalement un départ des plus jeunes et un vieillissement de la population. « Il y a un vide démographique, les gens partent, bientôt il y aura de moins en moins de trentenaires, d'enseignants, etc. Nous avons par exemple un lycée hôtelier à Grand-Bourg qui fonctionne bien. Mais en fin de parcours, les jeunes partent trouver du travail au Canada ou aux États-Unis. ll n'y a pas de débouchés ici. Marie-Galante est donc la grande oubliée de la Guadeloupe. C'est dommage, car elle pourrait être une locomotive pour demain, un petit territoire qui dynamiserait les grands... »
- Les points forts de l'île
« Marie-Galante a tous les atouts pour se développer économiquement. Nous avons une agriculture en bonne santé avec des terres saines, non polluées. Un taux d'ensoleillement idéal pour l'exploitation des énergies renouvelables, une capacité d'accueil hôtelière suffisante, une identité très forte et surtout une grande solidarité. Par exemple, lors du mouvement du LKP en janvier 2009, les Marie-Galantais ont beaucoup moins souffert de la pénurie grâce au système d'entraide local. Dans les années 1960, Marie-Galante a connu une embellie économique qui a duré une dizaine d'années. Tout est donc possible. »
- Pourquoi pas un nouveau statut ?
« Beaucoup de Marie-Galantais seraient favorables à un changement de statut, afin d'obtenir plus d'autonomie. Car nous avons un potentiel et une économie à défendre. Le problème est que nous avons actuellement l'impression d'être la grande oubliée de la Guadeloupe, la dernière roue du carrosse et la priorité de personne. »
- MIREILLE WILLAUME (ARS) : « Nous n'abandonnons pas la santé des Marie-Galantais »
La directrice de l'Agence régionale de santé comprend l'inquiétude suscitée par la fermeture de deux services à l'hôpital Sainte-Marie. Mais elle persiste : c'est une question de survie de l'ensemble de l'hôpital.
Mireille Willaume : « La crainte est issue de la méconnaissance » .
À Marie-Galante, l'ensemble de la population semble dresser ses boucliers contre la fermeture programmée de deux services de l'hôpital local, la maternité et la chirurgie. Mireille Willaume, directrice de l'Agence régionale de santé, entend cette inquiétude et la comprend. Mais elle rassure.
« La santé des Marie-Galantais ne sera pas compromise par l'évolution de leur hôpital à partir du moment où l'on respectera deux conditions, affirme Mme Willaume. La première, c'est que l'on s'attache à de bonnes conditions d'évacuation ou de prise en charge des transports et surcoûts pour les patients dus aux déplacements vers le CHU. La seconde, c'est qu'après l'opération ou l'accouchement, les patients seront pris en charge et surveillés par l'hôpital de Marie-Galante. »
Mais les Marie-Galantais n'entendent néanmoins pas la nécessité de fermer deux services. « L'équilibre global de l'hôpital est menacé pour des raisons financières et, si l'on veut que les autres services demeurent, il faut impérativement développer des activités rémunératrices pour l'établissement. Ce qui restera en place, ce sont les urgences - qui seront d'ailleurs renforcées - un centre périnatal, le laboratoire et la radiologie. Ce qui doit être développé en sus, c'est un service de soins de suite, et la prise en charge du secteur de la prévention (vaccination, consultations avancées) et de celui du handicap, notamment du handicap adulte. »
« Faire différemment, pour que ça aille mieux »
L'objectif : dégager des recettes pérennes. « Il s'agit là d'activités qui seront rentables, puisqu'elles ne sont pas soumises aux aléas du court séjour. Le court séjour, ce sont des actes pointus et ponctuels qu'il faut multiplier souvent pour avoir des recettes. Quand on ne les multiplie pas, comme c'est le cas de la chirurgie à Marie-Galante - où on comptabilise de 15 à 30 actes par mois - où de la maternité qui réalise 80 accouchements par an, les recettes sont insuffisantes. Les soins de suite, pour leur part, sont des séjours qui sont rémunérés, et le handicap est financé par un forfait annuel. On est donc sur des formes de rémunération plus rentables. »
Les peurs des Marie-Galantais ne sont donc pas fondées ? « Je comprends la crainte des Marie-Galantais. Ils se disent qu'on va les démunir et n'imaginent pas comment on va compenser. Or, un service des urgences bien organisé, ça fait un bon diagnostic et ça vous dirige ensuite non pas vers les urgences du CHU, mais vers le service d'hospitalisation compétent. Je conçois néanmoins que la population, pour qui ces mots sont de la cuisine hospitalière, ne les entende pas. Nous lui proposons de quitter quelque chose qu'elle connaît pour autre chose qu'elle ne connaît pas. Il ne s'agit pas d'enlever des choses, mais de les faire différemment pour que ça aille mieux. On est dans une phase d'affolement compréhensible, mais il ne faut pas paniquer : on n'abandonne pas la santé des Marie-Galantais, bien au contraire. »
- Un hélicoptère supplémentaire, si nécessaire
Selon Mireille Willaume, « si une personne est victime d'un accident, elle sera transportée aux urgences, où le diagnostic sera effectué et où elle sera bien préparée au transfert. On la mettra ensuite dans un hélicoptère. Je sais que la crainte est que l'hélicoptère ne soit pas disponible. On va faire en sorte d'augmenter les rotations, avec un hélicoptère supplémentaire si c'est nécessaire. Ensuite, on arrive au CHU où l'on est hospitalisé directement, sans avoir à faire la queue aux urgences, puisque le diagnostic et les explorations initiales ont déjà été réalisés. »
- Pratique
Pour information : 25 euros aller/retour en bateau pour se rendre à la manifestation. Rendez-vous à 7 heures à la gare maritime.
Les associations et organisations politiques signataires : Adimag, AQB, association des usagers des transports des îles du Sud, collectif du sport, comité pour une meilleure desserte des usagers, MADC, Bambou, collectif des jeunes, le Kap, le MAS, MGSTC, UCAMAG, UHMG, UPLG.